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    La mathématique pythagoricienne

      

      

     

    par Guillaume DENOM

     

     

     

    Apprendre à compter jusqu'à quatre, mais sans rien oublier en chemin, et en étant attentif à remarquer, chaque fois, ce qui est clos et complet au nombre quatre : tel est le programme mathématique proposé par Pythagore.

     

     

     

     

    Une figure, un pas.

     

    « Symboles pythagoriciens », Protreptique, Jamblique

     

      

     

     

    Par celui qui transmit à notre âme la tétractys sacrée, source de la Nature dont le cours est éternel.

     

    Serment pythagoricien, Vers d’or de Pythagore

     

     

     

     

     

    La décade est également appelée Foi. L’explication donnée par Philolaos est que, lorsque nous cherchons à saisir la réalité de manière approfondie, nous accordons à la décade et à ses parties une foi inébranlable.

     

    Théologoumènes arithmétiques, Pseudo-Jamblique

     

     

     

     

    C’est le Nombre qui, en rendant toutes choses adéquates à l’âme par la sensation, les rend connaissables et commensurables entre elles selon la nature du gnomon.

     

    Fragments, Philolaos

      

     

     

          

     

      

      *  *  * 

     

     

    Si, pour le grand public, l’héritage mathématique de Pythagore est associé au théorème de l’hypoténuse qui a emprunté son nom, bien qu’il ait été connu longtemps avant Pythagore, pour les pythagoriciens, cet héritage consiste, principalement, en quatre notions mathématiques, notions qui ne sont pas seulement des théories, mais des idées mathématiques au sens le plus fort, incluant chacune une variété indéfinie de théories. Ces notions fondamentales sont : la tétractys, les médiétés, le gnomon et les solides réguliers.

     

    Parmi ces quatre notions, la première, la tétractys, a en outre la propriété de contenir les trois qui la suivent. C’est à relier ces notions par le chemin mathématique le plus court que sera consacré cet exposé.

     

    La mathématique pythagoricienne est une mathématique élémentaire, dans les deux sens que revêt ce mot. D’une part, elle ne comporte rien de très difficile, rien qui soit hors d’atteinte d’un lecteur cultivé; - et, pour ce qui concerne le présent exposé, ceux qui seraient rebutés par les démonstrations pourront, sans inconvénient pour la suite, laisser de côté les articles 6 et 7 de la première section, où se trouve concentrée la seule partie démonstrative de ce texte. Mais d’autre part, la mathématique pythagoricienne est élémentaire en ce qu’elle porte sur les principes, les éléments premiers de la mathématique, qu’elle se propose de définir et de fonder à partir d’une seule pensée originaire.

     

    Cette mathématique est donc une réflexion sur le concept général de la science, qui s’attache à définir ce qui est premier dans chacun des domaines où celle-ci peut s’exercer. Par ce côté, son propos aura peut être plus de chance d’intéresser le philosophe ou l’épistémologue, que le mathématicien spécialisé, installé dans ses habitudes modernes.

     

    Il ne sera presque jamais question, ici, des débats contemporains relatifs à l’histoire du pythagorisme. En l’absence de tout document sur le savoir de Pythagore, les historiens se trouvent réduits à des suppositions purement conjecturales. De plus, la plupart sont dominés, voire possédés, par le préjugé moderne que la science a toujours évolué par une progression graduée. Le plus ancien traité de mathématique connu étant les Eléments d’Euclide, ils sont conduits à supposer toute une série de « progrès » de Pythagore à Platon, à Aristote ou à Euclide ; alors même que ce qui s’est produit durant cette période est exactement le contraire, savoir, une série de régressions sans équivalent dans l’histoire de la pensée, véritables catastrophes intellectuelles qui ont abouti à ce que la science, dont les principes s'étaient dévoilés dans toute leur pureté dans la pensée d’un homme, s’est retrouvé enfouie et emprisonnée pendant deux millénaires.

     

    Abandon de la doctrine du nombre naturel au profit du nombre « idéal » (Platon) ; abandon de la logique mathématique au profit de la logique langagière, abandon de la physique mathématique au profit d’une physique purement empirique, abandon de la cosmologie héliocentrique au profit du géocentrisme (Aristote) ; enfin, abandon de la primauté du nombre sur la figure (Euclide) : tels sont les principaux « progrès » survenus entre l’époque de Pythagore et celle qu’on a coutume de considérer comme l’âge d’or de la pensée grecque.

    A la fin du XIXe siècle, certains historiens ont cru reconnaître dans la mathématique pythagoricienne des conceptions ressemblantes à celles de la mathématique moderne; et ils ont forgé l’expression d’ « algèbre géométrique » pour caractériser cet ensemble de spéculations, situées à l'interface entre la théorie du nombre et la géométrie, sans s’apercevoir que le domaine défini par ces spéculations était celui de la logique mathématique, dont l’objet est de traiter, précisément, des structures communes à ces deux sciences : arithmétique et géométrie.

     

    Alors, plutôt que d’entrer dans les vues de ces historiens autoproclamés, qui ne sont en réalité que de modernes mythographes, et qui, à force d’enfermement dans la méthode critique, de refus de la tradition pythagoricienne, ont tendu de plus en plus à déposséder Pythagore de toute pensée originale, on se fiera plutôt au sentiment de ceux qui furent les restaurateurs de la science, les Copernic, Kepler, Newton, tous pythagoriciens fervents*, et qui étaient pleinement conscients de renouer avec ce fil ancien de la pensée.

      

      

    *Avec son mépris ou son indifférence pour les "mathématiques pures" (autres qu'appliquées aux problèmes physiques),  et sa robuste philosophie de marchand de lunettes, l'anti-pythagoricien Galilée demeure, il est vrai, le père de la science "positive" et technicienne; cette science qui a libéré l'homme du souci de la connaissance absolue, en acceptant de limiter son intelligence à la seule distinction de "ce qui marche" et "ce qui ne marche pas".

     

     

      

      


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     DE LA TETRACTYS AUX MEDIETES

      

     

     

    LA TETRACTYS CONTIENT LE NOMBRE

     

          

      

     La théorie du Nombre

     

    A la question : « qu’est-ce qui est premier en mathématique? » la mathématique pythagoricienne répond sans hésiter : ce qui est premier est le Nombre.

    Bien qu’elle puisse paraître anodine, cette particularité distingue radicalement la mathématique pythagoricienne de toute autre mathématique existante. Chez Euclide, l’arithmétique, science du nombre, se présente comme une division, ou une spécialisation, de la géométrie. Les nombres sont représentés par des segments de droites. Dans la mathématique moderne, la théorie du nombre est fréquemment subordonnée à une notion logique, telle que la notion d’ensemble, ou à une quelconque théorie axiomatique.

    Bien que le nombre soit « premier en naissance », le but de la mathématique pythagoricienne est de construire, ou de produire, dans une seule et même pensée originaire, ces trois parties de la mathématique que sont : l’arithmétique, la géométrie et la logique, la troisième étant définie comme l’interface ou la « paroi » entre les deux premières. La tétractys est un concept mathématique qui présente ces trois aspects, et les présente sur un mode très particulier qui est celui de la synthèse, au sens même où Kant qualifie les jugements mathématiques  de «synthétiques a priori ».

      

     

    Le Quatre-Réceptacle

      

    Le Quatre-Réceptacle est une étymologie possible du mot « tétractys », selon une tradition.* Si cette étymologie est incertaine, le sens mathématique de l'expression "tétractys", lui, est garanti par la multitude, autant que par la constance de ses applications, et on peut le traduire par l'expression française "clôture à quatre", ou "clôture quaternaire".

    De même que le Nombre est « premier en naissance », et la science du nombre première par rapport aux deux autres parties de la mathématique (géométrie, logique), la mathématique pythagoricienne considère, au sein de l’infinité des nombres, certains nombres comme « premiers en naissance » relativement à tous les autres; et, pour des raisons très précises,  elle décide de limiter ces nombres-principes à quatre : les quatre premiers nombres entiers.

    Cet acte de clôture est un acte analogue, et mathématiquement équivalent, au choix d’une base arithmétique, telle que notre base 10. La différence étant qu’ici, l’action de clôture s’effectue non seulement dans l’ordre des nombres, mais simultanément dans trois ordres mathématiques différents : arithmétique, géométrique et logique.

     

      

    La Tétractys

     

     

    La tétractys est une notion mathématique qui associe la croissance du nombre entier naturel, à la croissance d’une figure géométrique : le triangle équilatéral.

    La tétractys est « une certaine façon de compter jusqu’à quatre », dans laquelle les nombres sont représentés par des points.

    L'unité, objet élémentaire de l'arithmétique, est coordonnée au point, objet élémentaire de la géométrie.

    Il existe de nombreuses définitions mathématiques de la tétractys.  Par exemple :

    La tétractys est une constellation de dix points équidistants du plan, distribués en symétrie hexagonale, et formant un triangle équilatéral.

    Ou encore cette définition qui ne fait appel qu'à des figures géométriques simples  :

    La tétractys est une constellation de points dont les positions sont définies par les sommets d'un hexagone et d’un trépied, inscrits ensemble dans un même triangle équilatéral. 

     

       

            

      

    « Réceptacle de l’illimité »

      

    « La tétrade contient la décade. » En vertu de l’égalité : 1+2+3+4 = 10, la clôture du compte jusqu’à 4 coïncide avec la clôture, habituelle pour nous, de la base 10. Chez les anciens, le terme Décade est fréquemment employé comme synonyme de la tétractys 

    Mais, dans la tradition pythagoricienne, la tétractys est appelée « réceptacle de l’illimité », ce qui signifie que les quatre premiers nombres contiennent en puissance tous les autres.

    Cette assertion peut être comprise selon une interprétation « naïve ».  La tétractys étant une structure qui associe la croissance du nombre entier à la croissance du triangle, le même procédé peut être répété à l’infini, par l’ajout de nouvelles lignes sous la base du triangle.

    Mais ce serait oublier que la tétractys est une structure « close ». En arithmétique, la clôture de la base implique toujours que : « on arrête, puis on recommence », comme c’est le cas dans le système décimal où, parvenu à 10, on reprend le compte à partir du début : 11, 12, 13...

    Après avoir construit la première tétractys, on doit donc construire deux tétractys en même temps, celle de la seconde dizaine, et celle de la centaine, en application cette fois de l’égalité : 10+20+30+40=100. A partir de 101, ce sont trois tétractys qui se construisent en même temps; et notre tétractys se développe comme une figure « fractale » qui envahit l’espace à partir du sommet dont elle est issue.

      

                                        100                                       

                                                                200                 300

     

     

     

    Nombres décimaux et négatifs

     

    Mais la correspondance entre le nombre et la figure peut évidemment être poussée plus loin, sans que soit trahi en rien l’esprit de la notion pythagoricienne.

    En effet, rien n’interdit de considérer chacun des dix points de la tétractys comme étant lui-même un triangle, indéfiniment décomposable en parties tétractyques décimales de rangs inférieurs (tétractys à points triangulaires). De cette manière, la tétractys s’avère capable d’exprimer tous les nombres décimaux.

      

                                                                          Entier « 1 » (origine)

     

                                               Valeurs décimales, centésimales, etc.

     

     

    Pour les nombres négatifs, il suffit d’opposer à la tétractys une anti-tétractys, selon le schéma suivant.

      

      

    Pour le nombre zéro lui-même, il suffit d’indiquer que la tétractys et l’anti-tétractys sont, l’une et l’autre, vides.

     

      

    En langage moderne, on dira que, pour peu qu'une règle de construction soit précisée, telle que "de haut en bas et de gauche à droite", la tétractys à points triangulaires contient un système de coordonnées biunivoque de l'ensemble des nombres entiers, mais aussi des nombres décimaux et négatifs.

     

     

    *Le sens le plus généralement admis étant celui de "quadruple rayon" ou   "rayonnement quadruple."

      

      






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